Une lettre ouverte au ministre Morneau

Une lettre ouverte de médecins canadiens au ministre Morneau au sujet des réformes fiscales proposées visant les SPCC

À: L’honorable William Francis Morneau, Ministre des Finances
C. c.: Membres du Conseil d’administration de l’Association Médicale Canadienne
Membres des conseils d’administration des fédérations des médecins des provinces et des territoires

Nous sommes un groupe de médecins canadiens qui partagent un point de vue sur les modifications proposées aux sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC). Nous travaillons dans différentes spécialités et dans diverses contextes de pratique, certains incorporés et d’autres non. Quoique nous regrettons sincèrement l’approche et le ton gouvernemental lors du déploiement de ses propositions, nous demeurons fermement en faveur d’un régime fiscal équitable comme pilier d’une société juste et saine.

Le revenu médian d’une personne au Canada était 33 920 $ en 2015, un salaire nettement inférieur au revenu de la plupart des médecins. L’inégalité croissante des revenus a des conséquences néfastes sur la santé de tous, riches et pauvres. Nous dépendons des recettes fiscales pour financer les programmes sociaux tels que le logement abordable, les assurances médicaments, l’aide sociale, l’aide juridique ainsi que le système de santé. Ces programmes ont un impact direct sur la santé de nos patients. Or, nous croyons qu’il est important de contribuer à leur pérennité en assurant une base fiscale adéquate.

Les médecins se retrouvent dans une situation particulière en étant des travailleurs autonomes financés par des fonds publiques. Par ailleurs, les frais administratifs de nos cabinets varient énormément. En général, nous n’avons pas accès aux avantages sociaux tels qu’un congé parental, un régime de retraite ou des avantages médicaux. Nos études durent de nombreuses années où nous accumulons une lourde dette d’études, nous entrons sur le marché du travail en retard et nous y subissons un taux élevé d’épuisement professionnel. Pourtant, malgré ces défis, la majorité des médecins se retrouvent parmi les 1 à 5% les mieux rémunérés.

Au cours des diverses négociations provinciales, les médecins ont obtenu le droit de s’incorporer malgré la compétence fédérale dans ce domaine, dans certains cas au lieu d’une augmentation des tarifs. Les 60% des médecins du pays qui se sont incorporés accédèrent ainsi à différentes stratégies fiscales légales pour diminuer leur taux d’imposition: le fractionnement du revenu, les revenus d’un portefeuille passif à l’intérieur d’une société et la conversion du revenu en gain en capital.

Certains médecins prétendent que ces stratégies fiscales remplacent les avantages sociaux ou alors compensent pour la dette étudiante élevée et les longues études. Ces préoccupations, ainsi que les inégalités entres le modèles de rémunérations des médecins et l’épuisement professionel, sont au coeur de la position majoritaire d’opposition aux changements proposés. Cependant, nous estimons qu’il serait préférable de s’attaquer à chacun de ces enjeux directement et non pas par un régime fiscal qui se doit d’évoluer. De telles solutions publiques nécessiteront un financement adéquat de la part de ceux qui peuvent contribuer le plus afin d’octroyer des services publiques de qualité, y compris les soins de santé.

Nous croyons que les solutions de politique publique ne reposent pas sur des avantages fiscaux des médecins. Après une consultation approfondie des publications récentes, il semble que les bénéfices de ces avantages fiscaux se concentrent chez certains médecins incorporés avec une structure familiale particulière qui peuvent investir un montant au delà des limites des méthodes d’épargne habituels (REER, CELI, REEE, RPC). Cela nous semble injuste pour les médecins monoparentaux, ceux qui ont des jeunes enfants ou ceux qui ne peuvent pas s’incorporer. Il nous semble tout aussi injuste que les autres canadiens à revenus semblables ne peuvent pas s’incorporer. Nous appuyons donc les modifications proposées au fractionnement du revenu, au portefeuille passif et au gain en capital en société. Toutefois, nous demandons un plan clair de transition et un examen complet du régime fiscal visant l’équité.

Nous demandons donc au gouvernement fédéral:

  1. Que la mise en oeuvre des réformes proposées aux sociétés privées sous contrôle canadien soit la première étape d’une réévaluation globale de la politique fiscale au Canada pour adresser les mécanismes qui avantagent les grandes entreprises et les canadiens les plus aisés.
  2. Qu’il y ait un plan clair de transition entre le régime actuel d’épargnes via les sociétés professionnelles et les methods traditionnelles. Pour ceux et celles qui n’ont pas contribué aux CELI, REER, REE ou RPC, nous proposons une période de cotisation rétroactive sans pénalités.
  3. De revoir avec les gouvernements des provinces et des territoires l’accès aux avantages sociaux, aux congés parentaux et aux régimes de retraite pour tous les canadiens ainsi que de revoir les modes de rémunération des médecin pour leur permettre d’y accéder.
  4. De travailler avec les provinces et les territoires pour réduire l’endettement des étudiants en médecine par la réduction des frais de scolarité croissants et la remise de dette.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de notre considération respectueuse.

Signé par plus de 490 médecins de partout au Canada

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